Après quatre éditions, l’European Bonsaï San Show [1] s’est installé au cœur des manifestations qui comptent dans le monde du bonsaï européen. La preuve en deux micros signes : de bon matin, le parking du parc des expositions de Saulieu est complet et nous sommes quarante-cinq personnes à faire la file pour entrer. Frédéric Chenal a réussi son pari d’entrer dans la cour des grandes expos.
Sous la voûte de bois du Centre Jean Bertin, les habitués s’arrêtent, étonnés : la disposition de l’exposition en carré a cédé place à un dispositif plus classique tout en longueur entouré par les stands commerciaux. Au centre règnent toujours les huit grands Tokonoma occupés par les arbres de Luis Baliño.
Plutôt qu’une description longue et sans style (ce qui en bonsaï serait un comble) des arbres exposés, voici quelques coups de cœur non exhaustifs. Il y avait encore des Taxus indigènes et asiatiques, une satsuki remplie de mouvement, quelques conifères inaccomplis et un mélèze. Madame regarde le larix jaunissant : « Il va mourir ». Monsieur péremptoire : « Sans aucun doute ! Pourquoi exposer un arbre malade ? ». Confronté à un tel degré de méconnaissance botanique, j’ai renoncé à éclairer les deux béotiens sur le caractère caduc de ce conifère passionnant !

Zelkova de Alain De Wachter ou la preuve que le classique Zelkova formé en « style balais » peut retenir l’attention
Chaque manifestation se caractérise pas son ambiance : l’EBSS résonne d’autres sonorités que le français. L’ambiance conviviale permet de nouer d’intéressantes conversations en français, en anglais et même en néerlandais au sujet d’un arbre ou du travail d’un potier. On prend date pour une autre expo, ailleurs, dans six mois, voire plus. S’il est un endroit à fréquenter avec une provision de cartes de visite, c’est celui-ci.
Treize heures sonnent… et quatre disciples de Kimura entrent en scène sur une estrade entourée par le public. Aux côtés de Marco Invernizzi vont opérer devant nos yeux curieux et bientôt ébahis Taiga Urushibata, Masayuki Fujikawa et Hiroaki Suzuki, le benjamin – 25 ans – de ce quatuor qui se lance dans sa première démonstration publique en Europe.
Samedi sera consacré au dégrossissage des arbres, ce délicat passage entre une plante choisie pour un potentiel plus ou moins évident et sa transformation en objet structuré qui laisse deviner le futur bonsaï. Dimanche le mochikomi, cet art de la finition sans lequel le bonsaï ne peut naître retiendra l’attention des démonstrateurs.
Dans son prologue Marco Invernezzi insiste sur la nécessité de laisser l’arbre reprendre des forces après la première mise en forme le temps nécessaire. Même si cette pause dure deux ou trois ans. Le « Quatuor de Saulieu » se refuse à la démo acrobatique et tape-à-l’œil qui en trois heures bien comptées « produit » un bonsaï séduisant mais fréquemment destiné à mourir en quelques semaines.
La démo commence et c’est à couper le souffle ! Pas à cause de techniques sophistiquées ou de torsions extrêmes. Non ce que nous voyons relève de l’exact opposé : sobriété, concentration, économie de moyens et mise en jeu de tous les muscles du corps là où nous utilisons seulement les mains.
Alors que Taiga Urushibata entame l’écorçage d’un shari, Masayuki Fujikawa pose un gros fil de cuivre. Je n’aurais pas cru que ligaturer puisse provoquer tant de sueur.
Lorsque vient le moment de donner au tronc du futur Kengaï son mouvement serpentiforme, les deux hommes joignent leurs efforts : les muscles se bandent sous la peau, les mains se plaquent intimement au tronc.
Encore n’ai-je pas de photo du moment où il pose son genou sur le pot !
Les genoux fléchissent, les cuisses tremblent.
Les fibres du bois cèdent, se donnent.
Alors qu’ils relâchent leur étreinte, la salle – synchrone – respire. Oui nous avons retenu notre souffle pendant quelques secondes. Nous étions en communion avec les bonsaïka nippons.
Très à l’aise, Macro Invernezzi commente son travail en anglais traduit au vol par Frédéric Chenal. Il entoure le pin qui lui est dévolu, fixe un fil, le place, jauge l’effet futur. Invernezzi s’est fixé un but : le dessin de son arbre, imprimé dans ses neurones, il avance avec rapidité et clairvoyance. Il est l’oiseau qui saute de branche en branche dans la ramure de l’arbre.
Urushibata méthodique et serein métamorphose un pin assez torturé en une future pièce maîtresse. Le style saute aux yeux par sa simplicité et son évidence qui ne pardonnent ni approximation, ni petites tricheries visuelles. Observez sa prise en main de l’unique outil qu’il utilise (non ce n’est pas une pince à jin !!!) et sa réflexion intense lorsqu’il observe son travail.
Suzuki s’est isolé au plus loin de la porte de la salle. Au maximum de sa concentration, il fait émerger d’un juniperus à la végétation compliquée, une silhouette épurée d’arbre mature. Ce jeune homme – en quelques haubanages bien noués – raconte une histoire lumineuse !
Je nourris à l’égard des acrobaties techniques pratiquées par Masahimo Kimura quelque scepticisme, mais je dois à la vérité que ses disciples nous ont administré un enseignement de haut niveau : concentration mentale, maîtrise technique, intelligence et économie du geste, écoute de l’arbre, clairvoyance esthétique, …
Rentré à l’hôtel, il me faudra des heures pour revenir à la réalité : à l’Ouest, la forêt morvandelle sombre dans la nuit alors que je suis toujours dans mon rêve ; assis derrière la fenêtre de la chambre où se dessine un cèdre bleu centenaire. Il faudra un revigorant filet pur, sauce époisses pour me ramener sur terre.
Lorsque, après ce weekend, je reprends la route du « Petit Royaume », j’emporte vers le Nord deux certitudes : d’abord, je reviendrai à Saulieu et surtout, les arbres ont encore beaucoup à m’apprendre.
Luc HELEN
[*] Kimuradô ou « la voie de Kimura » que les japonisants me pardonnent ce japonais de cuisine.
Enfin si vous êtes oublieux, je vous rappelle que depuis 2013, Frédéric Chenal, professionnel français et bourguignon du bonsaï a pris les rênes d’une manifestation qui installe tous les ans à la mi-octobre arbres et stands commerciaux au bord du Morvan.
[1] Pensez et dites EBSS, nos amis français qui parlent deux fois plus rapidement que nous adorent user d’abréviations, sigles, acronymes et toute forme de raccourci parfois drôles, souvent ésotériques aux non hexagonaux.